L’hydroélectricité à Grenoble : 100 ans de transmission, d’innovation et de transition

Le mercredi 21 mai 2025, Grenoble INP – Ense³ a accueilli une conférence intitulée « L’hydroélectricité : se former et innover », dans le cadre du Centenaire de l’exposition internationale de la Houille Blanche et du Tourisme.

Cet événement a permis de mettre en lumière l’histoire de la filière sur le territoire, les défis technologiques et les enjeux environnementaux liés à l’hydroélectricité, à travers les interventions de plusieurs spécialistes.

Un héritage industriel et académique

Dès 1850, les industries comme la papeterie, puis la cimenterie, ont permis le développement de l’hydroélectricité dans le bassin grenoblois. Les vallées escarpées comme le Grésivaudan, la Romanche ou la Maurienne, l’augmentation des hauteurs de chute et l’aménagement de grands aménagements hydroélectriques : barrages, stations de pompage, turbinage, ont accompagné l’essor de cette industrie. Des figures telles qu’Aristide Bergès, Aimé Bouchayer ou Félix Viallet sont devenues emblématiques de cette aventure industrielle, mêlant ambition sociétale et innovation. L’histoire de l’hydroélectricité grenobloise s’est aussi construite autour d’un triptyque solide : formation, recherche, valorisation — une dynamique qui perdure aujourd’hui.

Une présentation des différentes filières de formation post Bac pour travailler dans le domaine a été proposée aux plus jeunes, ainsi qu’un panorama des activités de Recherche proposées dans les différents laboratoires associés à l’école : GIPSA lab, LEGI, 3SR, G2Elab, IGE et GSCOP pour ne citer qu’eux. Les enjeux socio-écologiques associés à la ressource en eau et notamment à la fonte des glaciers alpins, ont également été abordés afin de réfléchir aux impacts sur l’hydroélectricité et le partage des usages.

Comprendre les machines hydrauliques

Eric Gaudin, directeur du CREMHyG (Centre de Recherche et d'Essais de Machines Hydrauliques de Grenoble), a présenté les bases du fonctionnement des machines hydrauliques. Elles reposent sur un principe physique simple : la transformation par une turbine de l’énergie potentielle de l’eau en énergie mécanique, puis électrique. Quatre grandes familles de turbines modernes se distinguent : Pelton, Francis, Kaplan et Bulbe. Le rendement hydraulique des machines correspond au rapport entre la puissance hydraulique disponible sur la puissance mécanique collectée sur l’arbre. L’arbre d’une machine hydraulique étant la pièce qui relie mécaniquement la turbine à l’alternateur, c’est le vecteur de transfert d’énergie mécanique dans l’installation. Des pertes (frottements, turbulences, cavitation) limitent ce rendement.
 

Pilotabilité et stabilité des réseaux

Jérôme Buire, maître de conférences à Grenoble INP – Ense³ et chercheur au G2Elab, a souligné l'importance des centrales pilotables comme régulateurs du réseau électrique.

Les énergies renouvelables comme le solaire, le photovoltaïque ou l’éolien sont dites non pilotables : elles dépendent directement des conditions météorologiques et sont donc intermittentes. Pour maintenir l’équilibre du réseau – c’est-à-dire assurer que la production égale en permanence la consommation – on a besoin de centrales pilotables, comme les centrales hydroélectriques, qui peuvent ajuster leur production en temps réel. Cette régulation doit se faire en continu et est indispensable pour maintenir la fréquence du réseau, qui est un indicateur direct de son équilibre.

L’électronique de puissance est essentielle pour optimiser la conversion de l’énergie solaire ou éolienne, s’affranchir des variations instantanées du réseau et offrir une souplesse de contrôle, notamment dans les micro-réseaux ou les installations isolées.

Le défi scientifique, aujourd’hui, est de faire cohabiter harmonieusement les sources non pilotables, propres mais intermittentes, et des sources pilotables, flexibles et stabilisatrices. Une forte pilotabilité du système permet non seulement de limiter les variations de fréquence, mais aussi de réduire les efforts mécaniques sur les machines du réseau et donc de les faire durer plus longtemps.

Environnement et biodiversité : les défis de demain

Stefan Hoerner, maître de conférences à l’école et chercheur au LEGI (Laboratoire des Écoulements Géophysiques et Industriels), a abordé les impacts environnementaux des ouvrages hydroélectriques. En effet, bien que l’hydroélectricité soit une énergie décarbonée, elle n’est pas exempte d’effets secondaires sur les milieux naturels, en particulier sur les rivières et la biodiversité aquatique. En France, seulement 43 % des eaux de surface sont considérées en bon état écologique, un chiffre en deçà des objectifs fixés par la directive-cadre européenne sur l’eau. La région alpine s’en sort un peu mieux, mais les défis restent nombreux.

Les principaux effets observés des infrastructures hydroélectriques sont :

  • La fragmentation des cours d’eau : les barrages interrompent la continuité écologique, empêchant la circulation naturelle de l’eau, des sédiments et des espèces.
  • La perte de sols fertiles : les retenues artificielles créées par les barrages inondent souvent des forêts riveraines ou des zones agricoles.
  • La baisse de la fertilité en aval : en retenant les sédiments, les barrages appauvrissent les terres situées en aval des ouvrages.
  • La modification des régimes d’écoulement : cela peut entraîner une dégradation des rivières.

L’un des effets les plus marqués de l’hydroélectricité concerne la migration des poissons. De nombreuses espèces migratrices dépendent de cours d’eau libres pour se reproduire. Or, jusqu’à 80 % des poissons doivent passer par les turbines lors de leur descente vers l’aval, avec un taux de mortalité moyen de 22 %. Ce taux est très variable selon le type de turbine utilisée, sa taille, son emplacement, et les dispositifs de protection ou de déviation mis en place.

Face à ce constat, la Recherche s’organise pour limiter ces impacts en développant des modèles numériques couplés entre le fluide et des poissons virtuels permettent de simuler les trajectoires et les risques de collision ou des simulateurs de collision pour évaluer, sans faire appel à des poissons vivants, les dégâts potentiels sur des sites existants.

Ces outils aident à concevoir des turbines plus respectueuses de la faune, dites ichtyocompatibles, capables de réduire significativement les taux de mortalité.

Une technologie encore jeune : l’hydrolien

En fin de conférence, Pierre-Luc Delafin, maître de conférences à Grenoble INP – Ense³ et chercheur au LEGI, a présenté le potentiel des hydroliennes. Ce sont des turbines qui exploitent l’énergie du courant de l’eau pour générer de l’électricité. Elles sont assez similaires à des éoliennes immergées.

Parmi les technologies émergentes dans le domaine des énergies renouvelables, les hydroliennes suscitent un regain d’intérêt depuis le début des années 2000. Ces machines, comparables à des éoliennes immergées, exploitent l’énergie cinétique des courants d’eau pour produire de l’électricité.

Bien que leur fonctionnement soit similaire à celui des éoliennes offshore – à la différence qu’elles utilisent l’eau plutôt que le vent – les contraintes mécaniques sont bien plus fortes sous l’eau. La densité de l’eau étant environ 800 fois supérieure à celle de l’air, les pales des hydroliennes doivent être plus petites, plus épaisses, et plus résistantes.

On distingue généralement deux types :

  • Les hydroliennes fluviales, installées dans des rivières.
  • Les hydroliennes marines, placées en mer, dans les zones de courants marins puissants.

Dans les deux cas, on parle de turbines hydrocinétiques, car elles convertissent l’énergie cinétique du flux d’eau en énergie mécanique, puis en électricité.

Le secteur s’oriente aujourd’hui principalement vers l’hydrolien marin, en particulier dans des zones comme le nord-ouest de la France, où les courants de marée sont puissants et réguliers. En effet, les marées résultent des forces gravitationnelles entre la Terre, la Lune et le Soleil, ce qui rend cette énergie très prédictible, contrairement à l’éolien ou au solaire. Le potentiel énergétique de l’hydrolien marin en France est estimé à 26 TWh/an, soit environ 5 % de la consommation nationale.

Malgré ces promesses, l’hydrolien est encore une technologie en phase de maturation. Plusieurs défis subsistent :

  • Des fenêtres d’installation réduites, liées aux cycles des marées et aux conditions météorologiques.
  • Un environnement hostile : l’eau salée est corrosive, et la faune marine (comme les moules) pouvant coloniser les structures.
  • Des contraintes de maintenance : difficile d’accès, coûteuse, souvent dépendante de la météo.
  • Un manque de standardisation : il n’existe pas encore de consensus sur les meilleurs choix technologiques (axe horizontal ou vertical, ancrage ou flottabilité).

Deux projets emblématiques illustrent cette dynamique, FloWatt, en Normandie, utilisant la technologie HydroQuest et Normandie Hydroliennes, basé sur les turbines Protheus. Ces deux fermes pilotes visent une mise en service respectivement en 2026 et 2028. Elles permettront de tester la viabilité technico-économique de l’hydrolien à l’échelle industrielle.

Conclusion

L’hydroélectricité est un pilier de la transition énergétique. C’est une énergie renouvelable, flexible, non polluante, assurant également des fonctions auxiliaires comme la navigabilité, la gestion de l’irrigation ou encore les loisirs. Elle concilie innovation technologique et prise en compte des enjeux écologiques, et incarne donc un modèle d’ingénierie durable. À Grenoble, ce savoir-faire s’inscrit dans une histoire centenaire dont Grenoble INP – Ense³ forme les futurs experts et expertes.  



Ense3

Grenoble INP - Ense³ est le fruit de la fusion des deux écoles ENSHMG (Mécanique et Hydraulique) et ENSIEG (Energie et Traitement de l'information)