Comment est née l’idée de Phoenix Mobility ?
L’idée de Phoenix Mobility est née lors d’un module d’entreprenariat lorsqu’on était encore étudiants à l’Ense3 avec plusieurs de mes co-fondateurs. Le but était de nous apprendre en l’espace de 4-5 mois à faire une étude de marché, construire un business plan, pitcher notre projet, donc globalement acquérir la boîte à outils nécessaire pour pouvoir créer un projet entrepreneurial. Avec Filip Gardler, l’un de mes associés, on ne voulait pas passer ces 4 mois à travailler sur un projet qui ne nous inspirait pas ou qui n’avait aucune vocation à être concrétisé. On voulait également une idée à fort enjeu, à fort impact et très cohérente avec les aspects liés à l’environnement, au changement climatique et à la transition énergétique auxquels on avait été sensibilisés dans le cadre de nos études et de notre vie associative. Filip, qui était un étudiant suédois en ERASMUS avait des amis en Suède qui avaient réussi à électrifier un véhicule de collection de façon très artisanale. Ça leur avait pris 6 mois et coûté très cher. On a alors eu l’idée d’industrialiser ce concept de rétrofit. En effet, avec une flotte de plus d’un milliard de véhicules thermiques sur nos routes, on sait que la transition vers l’électrique et les véhicules propres va être urgente et massive et qu’il va falloir la déployer sur les 20 ou 30 prochaines années. Prendre les véhicules thermiques actuellement en fonctionnement, les mettre à la casse et chercher à produire un nouveau milliard de véhicules électriques propres à la place est totalement déraisonnable et incohérent avec les enjeux d’économie circulaire et d’efficacité environnementale. C’est comme ça qu’on s’est dit que le rétrofit pouvait avoir sa place et qu’il fallait trouver un procédé industrialisable et une technologie qui puisse être facilement réplicable afin de toucher le marché de masse et de rendre les véhicules électriques accessibles aux plus grands nombres.
Est-ce que vous êtes les premiers à avoir industrialisé le principe de rétrofit ?
Le principe de rétrofit tel qu’on l’a découvert en 2018 quand on a commencé à s’intéresser à ça, c’était un concept très artisanal qui se faisait dans les garages, en Grande Bretagne, aux US, au Pays-Bas, etc. Il ciblait une clientèle de niche : les personnes qui possédaient des voitures de collection et qui souhaitaient pouvoir continuer à rouler avec leur véhicule mais en version électrique. C’était un processus très sur mesure, très artisanal, qui pouvait durer plusieurs mois et avait une facture qui était très importante. C’était pas du tout ce qu’on avait envie de faire. Nous on voulait essayer d’appliquer ce concept au marché de masse. Pour cela, il fallait baisser drastiquement le coût d’accès, augmenter énormément les performances, la sécurité et la fiabilité du véhicule. Finalement, l’innovation qu’on a apporté au secteur, ça n’a pas consisté en l’électrification des véhicules mais au développement d’une solution qui puisse électrifier des véhicules de façon très rapide, très compétitive financièrement, avec un produit qui soit hyper fiable et qui soit très safe en termes de sécurité, comme peut l’être un véhicule électrique neuf qui sort d’usine aujourd’hui. On a donc été les premiers à aller à la rencontre des pouvoirs publics en France pour leur soumettre une évolution réglementaire qui avait pour but de créer un cadre règlementaire et technique pour ce rétrofit industriel et ainsi permettre des homologations en série de véhicules qui ont subis de telles transformations en étant soumis aux mêmes normes de sécurité et règlementations que peuvent l’être les constructeurs. Ensuite on a été les premiers à imaginer une solution qui puisse répondre à toutes ces normes, et enfin à obtenir ces homologations.
L’objectif de Phoenix Mobility est de convertir les véhicules thermiques à l'électrique grâce à des solutions de rétrofit. Peux-tu nous expliquer le principe ?
Le rétrofit électrique appliqué à l’automobile c’est un concept de remplacement ou conversion d’une motorisation thermique qui peut être diesel ou essence en une motorisation électrique. On vient donner une deuxième vie au véhicule en retirant la chaîne de traction diesel ou essence qui existait dans le véhicule : moteur thermique, réservoir à carburant, radiateur etc. et en la remplaçant par une chaîne de traction électrique neuve qui comporte un moteur électrique, un pack de batterie, un contrôleur, un calculateur, etc. On garde un véhicule identique en termes de gabarit (carrosserie, chassis, volume utile), mais on « upgrade » ses fonctionnalités et on change totalement sa motorisation et sa source d’énergie.
Depuis 3 ans, que de chemin parcouru ! Y'a-t-il un moment durant cette période qui ta particulièrement marqué ?
Il y a eu plusieurs évènements marquants mais la période que je ne pourrai jamais oublier c’est une phase de 12 mois qui s’est déroulée de l’été 2018 à l’été 2019 donc juste avant la création de l’entreprise et où on était pour la plupart des co-fondateurs encore étudiants à Grenoble INP Ense3. C’était une période assez hardcore pendant laquelle on travaillait beaucoup, on jonglait entre les emplois du temps de cours, nos disponibilités, nos stages, pour trouver du temps et commencer à développer nos premiers prototypes. On participait aussi à des concours d’entreprenariat partout en France pour faire connaitre notre projet et notre concept. Pendant cette période on a d’abord été hébergés au CEVELEC à GreEn-ER, puis dans un local juste à côté du CEVELEC qui nous été dédié et qu’on louait à Grenoble INP en tant que jeune pousse. C’est une période assez importante qui a posé les bases de ce qu’allait être notre entreprise, même si aujourd’hui ce qu’on fait est très différent de ce qu’on faisait il y a 3 ans en matière de rigueur, de discipline, et même d’échelle, ça a forgé les bases de l’ambition, de la vision et de l’esprit d’équipe qu’on peut aujourd’hui avoir.
Il y a un mois vous avez officialisé votre partenariat avec Renault Group dans le cadre de la Re-factory de Flins, quels sont les objectifs de ce partenariat et que va-t-il apporter à Phoenix Mobility ?
Ce partenariat on l’officialise quasiment 3 ans après la création de l’entreprise et c’est aussi un aboutissement en soit, parce que c’est la première fois qu’un constructeur de niveau mondial comme Renault s’engage industriellement, financièrement et opérationnellement pour lancer une offre de rétrofit conjointement avec une startup. C’est une preuve de la place que commence à prendre le rétrofit dans le paysage automobile et industriel et de la place qu’il pourrait prendre dans le futur. L’idée du partenariat est de codévelopper une offre commune qui a pour vocation de développer un kit de rétrofit pour convertir les Renault Master, des gros utilitaires de la marque Renault qui pourra être proposé à une clientèle professionnelle et à des collectivités. Pour ce faire, on va mettre à profit notre expertise autour du développement produit, de la réglementation, de l’homologation et de l’intelligence du kit : les logiciels embarqués, les calculateurs, l’architecture. En retour, Renault va mettre à profit son expertise sur l’industrialisation, le manufacturing et le service après-vente. On vise la commercialisation de 1000 kits de conversion entre 2023 et 2025, sur un périmètre donné et restreint pour tester et valider la faisabilité et la viabilité d’un tel partenariat industriel autour du rétrofit. Une fois cela réalisé, on a pour vocation d’agrandir le périmètre géographique, agrandir le périmètre en termes d’offres, de modèles et de marques de véhicule ciblés afin de viser des volumes beaucoup plus importants à un rythme beaucoup plus industriel.
Quels sont les futurs projets de Phoenix Mobility ?
En plus de ce projet de partenariat, on a des projets de développement interne. On vise le développement de kits sur d’autres véhicules et d’autres modèles, que ce soit sur la gamme utilitaires ou aussi sur d’autres segments de véhicules. On travaille aussi sur des briques technologiques comme la partie batterie ou la partie calculateurs. On va également commencer à commercialiser et déployer nos kits en France. On est donc en train de structurer tout notre réseau de déploiement, notre réseau de distribution et notre service après-vente. C’est une partie de notre business et de nos opérations qui était peu présente sur les 3 premières années de R&D et de développement produit et sur laquelle on se concentre aujourd’hui.
Tu étais étudiant à l’Ense3 de 2014 à 2018, que retiens-tu de ton expérience et de ton parcours à l’école ?
Quand je suis arrivé à l’Ense3 je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire, je savais juste que j’étais intéressé globalement par le secteur de l’énergie. La proximité avec le monde professionnel et industriel est assez forte à l’école via les laboratoires, les intervenant·e·s qu’on pouvait avoir en cours mais aussi via les évènements ou encore les stages. Ces opportunités m’ont permis de forger mon parcours et mes ambitions professionnelles, de les remettre en question, de lever certains doutes, de mettre le doigts sur des éléments que je voulais encore éclaircir. Ainsi plus on avance, plus on a une idée précise de ce qu’on veut et de ce qu’on ne veut pas faire comme métier. Le deuxième aspect que je retiens c’est que l’école m’a offert des opportunités qui aujourd’hui me servent énormément et qui me sont même vitales pour ce que je fais dans mon entreprise Phoenix Mobility. Par exemple, j’étais étudiant dans la filière IEE (ingénierie de l’énergie électrique) et ça m’a permis d’avoir un socle théorique assez important et donc de comprendre aujourd’hui ce qu’on fait dans l’entreprise même si je n’ai pas forcément un rôle de développement technique mais plutôt un rôle managérial et tourné vers la stratégie d’entreprise, le business développement, la finance, les affaires publiques, les levées de fonds etc. Une autre opportunité offerte à l’école est de s’engager dans des associations. En l’occurrence j’étais président du BDE de ma promotion et on peut penser que c’est juste pour organiser des évènements festifs mais en réalité c’était ma première expérience managériale concluante. Elle m’a donné envie de continuer à faire ça et approfondir tout le côté lié aux relations humaines, managériales, à la gestion de projets, de budgets, de risques etc. En fait il y a pleins d’opportunités offertes dans notre parcours à l’Ense3 et à Grenoble INP de manière générale qu’il faut saisir ou savoir créer et elles permettent très souvent d’ouvrir certaines portes. Je ne m’étais jamais dit en entrant à l’Ense3 : « j’ai envie de monter une entreprise directement après l’école » mais l’opportunité s’est présentée, j’ai su la saisir puis me battre avec mes co-fondateurs pour la concrétiser. Je n’aurais jamais pu imaginer il y a 4 ans en sortant de ce module d’entreprenariat que nous serions aujourd’hui une équipe de 30 salarié·e·s, leaders dans notre secteur et avec des perspectives de développement et d’impact énormes.
Et pour finir, que conseillerais-tu à un étudiant ou une étudiante qui souhaite se lancer dans l’entreprenariat à la suite de ses études ?
De ne pas passer sa vie à réfléchir au projet parfait, au meilleur business plan, au meilleur contexte dans lequel ils pourraient monter son projet. En réalité à partir du moment où on pense avoir une bonne intuition ça ne coute strictement rien de commencer à tester son idée sur un périmètre donné pour déjà commencer à voir si la faisabilité technique et l’appétence marché sont là ou pas et s’il y a un intérêt de poursuivre ou non. L’entreprenariat ce n’est pas un bouquin, ce n’est pas une histoire parfaitement écrite qu’on déroule page après page, mot après mot de manière très linéaire. C’est vraiment une succession de tests réussis ou échoués , qui permettent ensuite d’identifier ce qui ne marche pas, ce qu’on améliore et ce qu’on reteste. C’est pleins de boucles itératives qui permettent ensuite d’arriver un jour à quelque chose qui fonctionne et intéresse des clients. En général l’ennemi de l’entrepreneur ce n’est pas le fait de ne pas être bon dans un domaine c’est souvent la peur. Ce que je conseillerais c’est de saisir toute opportunité que l’étudiant pourrait avoir à l’école, comme les modules entreprenariat ou les assos dans lesquelles ils peuvent déjà commencer à appliquer certaines idées ou développer certaines compétences. Cela permet de tester dans un contexte réel ce qui peut leur passer par la tête et c’est la meilleure manière de pouvoir se confronter à la réussite potentiel ou pas d’un projet.
Est-ce que tu aimerais rajouter quelque chose pour conclure l’interview ?
Dans un premier temps, je tiens à remercier énormément Delphine Riu et Yves Maréchal pour leur soutien indéfectible pendant mon parcours à l’école où il y a eu des hauts et des bas, mais qui s’est achevé de la meilleure des manières. Et nous les remercions également avec mes co-fondateurs pour nous avoir mis à disposition, du temps et des ressources quand on a commencé à monter le projet. Cela peut paraitre banal et on peut se dire que c’est le rôle de l’école de faire tout ça, mais ils ont eu un impact très important directement et indirectement sur mon entreprise et moi. Ils font partie des précieux soutiens de la première heure ayant permis à l’entreprise d’exister puis de devenir ce qu’elle est aujourd’hui, donc je les en remercie chaleureusement.